mardi 8 décembre 2020
Explication de texte de la scène du dénouement de "Andromaque"- acte V scène V
La situation événementielle : Andromaque pour sauver son fils, a fini par céder
à Pyrrhus, en se promettant de se tuer juste après la cérémonie de noces.
Hermione jalouse, charge Oreste fou amoureux d’elle d’assassiner Pyrrhus. Il
s’agit de coups de théâtre permettant le dénouement. Découpage en unités de sens
: I/ Dans la première unité de sens, Pylade vient inciter Oreste à fuir, car le
peuple veut venger son roi mort. Il lui apprend par là même qu’Hermione s’est
suicidée sur le cadavre de Pyrrhus, et que Andromaque est devenue reine. Cette
unité s’étend du début de la scène jusqu’à « réunissons trois cœurs qui n’ont pu
s’accorder. » Cette incitation pressante à la fuite, est soulignée par le
champ lexical : « partir », « sortons », « sortir », « n’attendons pas », «
sortons », etc. Pylade ne demande pas seulement à Oreste de fuir, mais, il le
lui ordonne, comme le veut la situation grave et bien pressante, d’où
l’utilisation du verbe « falloir » et de l’impératif : « il faut partir », «
allons », « n’attendons pas », « sortons », « résolvons » etc. Pylade témoigne,
jusqu’à la fin de la pièce, de sa fidélité à son ami Oreste qu’il veut faire
fuir. Mais, celui-ci refuse de le suivre, tout en ne cessant de réclamer
Hermione, pour qui il a commis le crime, et pour qui il a délaissé sa fonction
officielle d’ambassadeur, envoyé par les grecs pour ramener Astyanax.
Conscient de sa culpabilité, et au même temps conscient de son innocence,
puisqu’il est impuissant devant cette fatalité qui se nomme la passion, le
personnage se trouve dans un inéluctable dilemme. Et c’est ainsi qu’il refuse de
fuir : « Non, non c’est Hermione, amis, que je veux suivre. A son dernier arrêt
je ne puis plus survivre. Partez, j’ai fait le crime, et je vais l’expier. »
Et c’est cette conscience d’Oreste qui fait la différence entre le personnage
tragique et le personnage comique. Le premier est conscient de l’horreur de son
péché, alors que le second en est tout à fait inconscient, et c’est son
inconscience qui fait rire le spectateur. Pylade apprend à Oreste,
brusquement, qu’Hermione s’est suicidée, sur le cadavre de Pyrrhus, en se
frappant d’un poignard. Toutefois, la règle de bienséance reste respectée,
puisque la mort n’est pas représentée sur scène : « En rentrant dans ses lieux
nous l’avons rencontrée Qui courait vers le temple, inquiète, égarée. Elle a
trouvé Pyrrhus porté sur des soldats Que son sang excitait à venger son trépas.
Son doute à cet objet sa rage s’est émue. Mais du haut de la porte nous l’avons
vue, Un poignard à la main, sur Pyrrhus se courber, Lever les yeux au ciel, se
frapper et tomber. » Une autre règle est de même respectée ici, c’est la règle
de l’unité de lieu. En effet, si la pièce est représentée dans un seul lieu à
savoir, le palais de Pyrrhus, le temple où se sont effectuées les deux morts,
n’est pas représenté sur scène, mais seulement évoqué par Pylade. Ces deux
thèmes : celui de la passion et celui de la mort, sont très caractéristiques de
toute tragédie, et l’un mène souvent à l’autre. Dans la tragédie, la passion
est forcément malheureuse, et a une valeur destructrice du personnage. C’est
dans cette perspective, qu’on comprend les morts respectives de Pyrrhus et
d’Hermione, ainsi que la folie d’Oreste. La mort d’Hermione a tellement choqué
Oreste que sa réplique se réduisît à quelques balbutiements sous forme
d’interrogations et d’exclamation, dans un style bien saccadé témoignant de son
grand désarroi : « Elle meurt ? Dieux ! qu’entends-je ? ». Ainsi, Oreste
représente bien le personnage tragique qui ne peut que se soumettre à la
fatalité, sans l’accepter complètement. En témoigne, le ton accusateur et
tragiquement ironique du personnage, s’exprimant par antiphrases : « Grâce aux
dieux ! Mon malheur passe mon espérance. Oui, je loue, ô ciel ! de ta
persévérance. Appliqué sans relâche au soin de me punir, Au comble des douleurs
tu m’as fait parvenir. (…) Où sont les deux amants ? Pour couronner ma joie, »
Par ailleurs, l’épuisement et l’affaiblissement d’Oreste sont soulignés par les
sonorités et voyelles nasales. Il ne faut surtout pas oublier, chez « ce plus
grand musicien des dramaturges français » comme le dit bien Alexandre Vinet,
dans « Poètes du siècle de louis XIV » que « la musique, dans les vers de
Racine, ajoute aux idées une deuxième expression ». A la fin de l’unité de
sens, comme tout protagoniste tragique, Oreste revendique la mort comme
purificatrice et salvatrice, mais, cette issue honorable lui est refusée, son
châtiment est beaucoup plus dégradant. II / Dans la deuxième unité de sens,
Oreste sombre tout à coup dans la folie. Elle va de cette réplique à la fin de
la scène : « Mais quelle épaisse nuit tout à coup m’environne ? De quel côté
sortir ? D’où vient que je frissonne ? Quelle horreur me saisit ? Grâce au ciel
! j’entrevoie. Dieux ! quels ruisseaux de sang coulent autour de moi ! » Pylade
a compris que son ami a perdu la raison, et s’écrie amèrement: «Ah! Seigneur !
». La nuit évoquerait la folie d’Oreste, d’où ses agitations et ses
hallucinations : « Quoi Pyrrhus, je te rencontre encore ? Trouverai-je partout
un rival que j’abhorre ? Percé de tant de coups, comment t’es-tu sauvé ? Tiens,
tiens, Voilà le coup que je t’ai réservé. » Et les voyelles momentanées « p » et
« t » … en assignant à la réplique du personnage un rythme saccadé, s’adaptent
ainsi parfaitement à l’état d’âme agité d’Oreste. Après la longue tirade
d’Oreste, soulignant ses troubles, ses agitations et ses délires, Oreste,
abattu, finit par perdre connaissance, c’est pourquoi Pylade, s’adressant à ses
gardes, parle de lui à la troisième personne : « Il perd le sentiment. Amis, le
temps nous presse. Ménageons les moments que ce transport nous laisse.
Sauvons-le. Nos efforts deviendraient impuissants S’il reprenait ici sa rage
avec ses sens. » Ainsi, jusqu’à la fin de la pièce, Pylade reste fidèle à son
ami, et persiste à vouloir le sauver. Si la visée d’« Andromaque », comme de
toute tragédie, est d’émouvoir le spectateur en vue de le purifier, selon une
certaine catharsis, il ne faut pas oublier son objectif moral. Elle vise à
donner des leçons morales au public. Ainsi, tous les personnages qui se sont
comportés d’une manière asociale ou immorale sont châtiés à la fin de la pièce,
tel est le cas de Pyrrhus, Hermione et Oreste. Quant à Andromaque, elle est
devenue reine, et a pu enfin sauver son fils des mains des grecs. Elle a été
ainsi récompensée pour son sens de la responsabilité familiale, et pour sa
fidélité à son défunt mari.