Mounir TOUHAMI / Sur "Andromaque" de Racine .
mardi 11 avril 2023
Explication de texte : "Andromaque" acte I scène 4
Situation événementielle :
Après son refus de livrer Astyanax, fils d’Andromaque, aux grecs qui veulent
exterminer toute la race d’Hector,Pyrrhus épris d’amour pour Andromaque,
lui fait du chantage en la menaçant de livrer son fils à Oreste, si elle
continue à refuser sa demande en mariage.
Unités de sens :
Cette quatrième scène du premier acte peut être découpée en trois unités
de sens :
I/ Dans la première unité, Pyrrhus informe Andromaque de l’intention des
grecs de vouloir récupérer son fils en vue d’exterminer toute la race
d’Hector, et de son refus de le leur livrer.
La première réplique met en évidence la grande passion qu’éprouve
Pyrrhus pour Andromaque, et les interrogations successives soulignent bien
son avidité et son empressement de voir enfin se réaliser son « espoir », de
voir Andromaque accepter sa demande de mariage.
A son enthousiasme et à sa grande ferveur, Andromaque répond, bien
froidement, tout en manifestant plutôt son exaltation et sa grande passion
pour son fils prisonnier, et pour son défunt mari Hector tué par Achille, le
père de Pyrrhus dans la guerre de Troie.
Andromaque évoque par là même la cruauté de Pyrrhus l’empêchant de
voir son fils plus qu’une fois par jour. Et c’est cette même cruauté qui
justifie le ton sarcastique du fils d’Achille :
« Les grecs vous donneront bientôt d’autres sujets de larmes. »
Et c’est sur le même ton ironique qu’Andromaque lui répond :
« Quelque troyen vous est-il échappé ? »
De la même manière, quand Pyrrhus lui apprend que les grecs « redoutent
son fils », elle lui répond sarcastiquement par une antiphrase :
« Digne objet de leur crainte ? »
Il s’agit d’une ironie, qu’on retrouve souvent dans les tragédies, destinée à
accentuer le tragique.
D’un autre côté les rimes, suggèrent souvent des associations sémantiques,
entre les mots qui riment ensemble. C’est ainsi que les mots « périsse » et
« supplice » s’associent par la rime pour accentuer la gravité de la mauvaise
nouvelle apportée par Pyrrhus.
Par ailleurs, toujours au niveau de l’exposition, la périphrase « le fils
d’Agamemnon » évoquant, bien entendu, Oreste, contribue à bien souligner
le cadre social.
L’indignation et la colère d’Andromaque sont soulignées par les deux
interrogations rhétoriques successives, et par l’interjection « Hélas ! » :
« Et vous prononcez un arrêt si cruel ?
Est-ce mon intérêt qui le rend criminel ?
Hélas ! on ne craint pas qu’il venge un jour son père :
On craint qu’il n’essuyât les larmes de sa mère. »
Andromaque rend Pyrrhus responsable de tous ses malheurs. Et le pronom
indéfini « on » ne sous-entendrait pas les grecs, mais plutôt Pyrrhus. C’est
ainsi qu’Andromaque dit explicitement, et clairement :
« Mais, il me faut tout perdre, et toujours par vos coups. »
Toutefois, nous pouvons entrevoir que malgré son refus et son opposition à
Pyrrhus, Andromaque manifeste une certaine résignation à son destin.
Soulignons à ce propos, la conjonction d’opposition « mais » et le verbe
« falloir ». Cette faiblesse qu’elle manifeste devant le sort, peut être aussi
appuyée par les consonnes et les voyelles nasales « m », « n », « on », etc.
De même, la rime, en associant « père » à « mère », ne peut que tisser un
lien intime entre les deux, et témoigne par là même de la grande fidélité
d’Andromaque à l’âme de son défunt mari.
Pyrrhus l’informe ensuite qu’il a refusé la demande des grecs de leur livrer
Astyanax, en essayant toujours de l’angoisser, et en se faisant ainsi passer
pour son unique protecteur, tout en s’exprimant par truchements
hyperboliques :
« Madame, mes refus ont prévenu vos larmes.
Tous les Grecs m’ont menacé de leurs armes,
Mais dussent-ils, en repassant les eaux,
Demander votre fils avec mille vaisseaux,
Coûtât-il tout le sang qu’Hélène a fait répandre,
Dussé-je après dix ans voir mon palais en cendre,
Je ne balance point, je vole à son secours.
Je défendrai sa vie, aux dépens de mes jours. »
Ici, Pyrrhus évoque la cause de la guerre de Troie : les grecs attaquant les
troyens pour récupérer Hélène ravie par Pâris.
Ils envoient, par là même, leur ambassadeur Oreste chercher Astyanax,
pour exterminer toute la race d’Hector.
II/ Dans la deuxième unité de sens, Pyrrhus essaie d’amadouer et de séduire
Andromaque en lui affirmant que pour elle, il court les périls d’une guerre
contre les grecs :
« Mais parmi ces périls où je cours pour vous plaire,
Me refuserez-vous un regard moins sévère ? »
Ainsi, Pyrrhus fusionne deux guerres : celle qu’il redoute contre les grecs, et
celle de conquérir le cœur de celle qu’il aime. D’où deux champs lexicaux,
celui de la guerre, et celui de l’amour :
1-champlexical de la
guerre : « périls », « pressé », « combattre », « cruautés », « combattant »,
« ennemi ».
2-champlexical de
l’amour : « plaire »,«regard »,« cœur », « bras »,« cœur », « adore ».
Et la répétition du vocable « combattre » souligne bien l’esprit belliqueux
du personnage, qui est de même souligné par la litote « ne point vous
compter parmi mes ennemis ». C’est ainsi que Pyrrhus intègre son esprit de
guerre même à l’amour
D’autre part, les questions rhétoriques dans les répliques de Pyrrhus,
appuient ses dires pour convaincre Andromaque d’accepter son amour,
alors que dans les répliques de celle-ci, elles sont destinées à dissuader
celui-là, à travers les truchements antithétiques, et à le flatter à travers la
gradation :
« Seigneur, que faites-vous, et que dira la Grèce ?
Faut-il qu’un si grand cœur montre tant de faiblesse ?
Voulez-vous qu’un dessein si beau, si généreux,
Passe pour le transport d’un esprit amoureux ? ».
Andromaque accepte la protection de Pyrrhus, sans qu’elle soit intéressée.
Ce qui est clairement affirmé par la répétition de l’adverbe « Non ». Elle
refuse le fait de lui « faire payer son salut par son cœur », et ses dires se
veulent bien accusateurs.
Dans ce même ordre d’idées, elle parle de lui, à la troisième personne du
singulier, en prenant ainsi ses distances :
« Voilà des soins dignes du fils d’Achille ».
Ce qui suscite une agitation et une perturbation chez Pyrrhus. Son
ébranlement se manifeste, à travers les interrogations et les exclamations,
et à travers le rythme saccadé de sa longue tirade dans laquelle il éprouve
même du remords :
« Je souffre tous les maux que j’ai fait devant Troie.
Vaincu, chargé de fers, de regrets consumé ».
Dressons ainsi un champ lexical du remords :
« remords », « souffre », « maux », « regrets », « brûlé », « Hélas ! »…
Pyrrhus finit même par comparer sa cruauté devant les troyens à celle de
Andromaque s’obstinant à ne pas vouloir lui céder, même s’il va, juste
après, lui promettre de reconstruire Troie, et mettre Astyanax sur le trône .
Et les adjectifs possessifs et les pronoms personnels, dans les propos de
Pyrrhus : « nos », « nous » répété soulignent bien son désir de s’unir à
Andromaque, en lui offrant de devenir le père et le protecteur de son fils.
Toutefois, elle répond, impassiblement :
« Seigneur, tant de grandeur ne nous touchent plus guère. »
Et l’adjectif possessif répété (« mon Hector », « mon époux », « mon fils »)
souligne sa grande fidélité, et le lien intime qui la lie à l’âme de son défunt
mari, et à son fils.
Andromaque finit sa tirade en rejetant toujours cet inconcevable amour que
lui propose Pyrrhus :
« Votre amour contre nous allume trop de haine.
Retournez, retournez à la fille d’Hélène. »
« votre amour contre nous » constitue un certain oxymore soulignant
l’impossibilité de cet amour. Et la répétition appuie le refus de
Andromaque.
Par ailleurs, le style imagé de la tragédie, et ses fréquents ornements
rhétoriques, c’est une caractéristique de ce genre dramatique, en vue de
toucher et d’émouvoir le spectateur, puisque c’est l’objectif même de la
pièce.
De même, le vocable « sort » est bien caractéristique de toute tragédie dans
laquelle, le personnage se réduit à un simple jouet de la fatalité, il n’est pas
maître de ses actions, ni de ses décisions ; il n’est que ce que fait de lui la
fatalité.
D’autre part les deux vocabulaires fréquents dans cette unité,, celui de
l’amour et celui de la mort se veulent de même, tout aussi caractéristiques
de la tragédie.
III/ Dans cette troisième unité de sens, on assiste au lancement de l’action,
par l’annonce d’une situation de crise, une seconde fonction de l’exposition
tout aussi importante que sa fonction informative.
Pyrrhus fait du chantage à Andromaque, en la menaçant de livrer son fils
aux grecs si elle s’obstine à refuser sa demande de mariage :
« Eh bien, Madame, eh bien ! il faut vous obéir :
Il faut vous oublier, ou plutôt vous haïr. (…)
Le fils me répondra des mépris de la mère !
La Grèce le demande, et je ne prétends pas
Mettre toujours ma gloire à sauver des ingrats. »
La gradation ascendante, le rythme saccadé, et l’allitération en(r)s’associent
pour souligner son grand emportement.
Face au refus d’Andromaque, Pyrrhus change, devient vil et sordide, et la
bienséance interne est complètement bafouée.
Par suite, deux champs lexicaux s’amalgament : celui de l’amour( « cœur »,
« aime », « transport »…), et celui de la haine et de la vengeance »,( « haïr »,
« haïsse », « fureur »,« « colère »…)
Andromaque ne peut que refuser son sort, et se résigner au destin :
« Hélas ! il mourra donc. Il n’aura pour sa défense
Que les pleurs de sa mère et que son innocence. »
Elle se réconforte, en affirmant que la mort de son fils, abrègerait ses
souffrances, et serait une issue salutaire à tous ses malheurs, et elle
pourrait enfin rejoindre , elle et son fils, l’âme de son défunt mari.
Face à la dignité, et à la grandeur des sentiments d’Andromaque, Pyrrhus,
ne désespère pas et lui rappelle, une dernière fois , son abject chantage :
« Madame, en l’embrassant, pensez à le sauver. ».
Et c’est ainsi que se clôt le premier acte sur un suspense
mardi 8 décembre 2020
Explication de texte de la scène du dénouement de "Andromaque"- acte V scène V
La situation événementielle : Andromaque pour sauver son fils, a fini par céder
à Pyrrhus, en se promettant de se tuer juste après la cérémonie de noces.
Hermione jalouse, charge Oreste fou amoureux d’elle d’assassiner Pyrrhus. Il
s’agit de coups de théâtre permettant le dénouement. Découpage en unités de sens
: I/ Dans la première unité de sens, Pylade vient inciter Oreste à fuir, car le
peuple veut venger son roi mort. Il lui apprend par là même qu’Hermione s’est
suicidée sur le cadavre de Pyrrhus, et que Andromaque est devenue reine. Cette
unité s’étend du début de la scène jusqu’à « réunissons trois cœurs qui n’ont pu
s’accorder. » Cette incitation pressante à la fuite, est soulignée par le
champ lexical : « partir », « sortons », « sortir », « n’attendons pas », «
sortons », etc. Pylade ne demande pas seulement à Oreste de fuir, mais, il le
lui ordonne, comme le veut la situation grave et bien pressante, d’où
l’utilisation du verbe « falloir » et de l’impératif : « il faut partir », «
allons », « n’attendons pas », « sortons », « résolvons » etc. Pylade témoigne,
jusqu’à la fin de la pièce, de sa fidélité à son ami Oreste qu’il veut faire
fuir. Mais, celui-ci refuse de le suivre, tout en ne cessant de réclamer
Hermione, pour qui il a commis le crime, et pour qui il a délaissé sa fonction
officielle d’ambassadeur, envoyé par les grecs pour ramener Astyanax.
Conscient de sa culpabilité, et au même temps conscient de son innocence,
puisqu’il est impuissant devant cette fatalité qui se nomme la passion, le
personnage se trouve dans un inéluctable dilemme. Et c’est ainsi qu’il refuse de
fuir : « Non, non c’est Hermione, amis, que je veux suivre. A son dernier arrêt
je ne puis plus survivre. Partez, j’ai fait le crime, et je vais l’expier. »
Et c’est cette conscience d’Oreste qui fait la différence entre le personnage
tragique et le personnage comique. Le premier est conscient de l’horreur de son
péché, alors que le second en est tout à fait inconscient, et c’est son
inconscience qui fait rire le spectateur. Pylade apprend à Oreste,
brusquement, qu’Hermione s’est suicidée, sur le cadavre de Pyrrhus, en se
frappant d’un poignard. Toutefois, la règle de bienséance reste respectée,
puisque la mort n’est pas représentée sur scène : « En rentrant dans ses lieux
nous l’avons rencontrée Qui courait vers le temple, inquiète, égarée. Elle a
trouvé Pyrrhus porté sur des soldats Que son sang excitait à venger son trépas.
Son doute à cet objet sa rage s’est émue. Mais du haut de la porte nous l’avons
vue, Un poignard à la main, sur Pyrrhus se courber, Lever les yeux au ciel, se
frapper et tomber. » Une autre règle est de même respectée ici, c’est la règle
de l’unité de lieu. En effet, si la pièce est représentée dans un seul lieu à
savoir, le palais de Pyrrhus, le temple où se sont effectuées les deux morts,
n’est pas représenté sur scène, mais seulement évoqué par Pylade. Ces deux
thèmes : celui de la passion et celui de la mort, sont très caractéristiques de
toute tragédie, et l’un mène souvent à l’autre. Dans la tragédie, la passion
est forcément malheureuse, et a une valeur destructrice du personnage. C’est
dans cette perspective, qu’on comprend les morts respectives de Pyrrhus et
d’Hermione, ainsi que la folie d’Oreste. La mort d’Hermione a tellement choqué
Oreste que sa réplique se réduisît à quelques balbutiements sous forme
d’interrogations et d’exclamation, dans un style bien saccadé témoignant de son
grand désarroi : « Elle meurt ? Dieux ! qu’entends-je ? ». Ainsi, Oreste
représente bien le personnage tragique qui ne peut que se soumettre à la
fatalité, sans l’accepter complètement. En témoigne, le ton accusateur et
tragiquement ironique du personnage, s’exprimant par antiphrases : « Grâce aux
dieux ! Mon malheur passe mon espérance. Oui, je loue, ô ciel ! de ta
persévérance. Appliqué sans relâche au soin de me punir, Au comble des douleurs
tu m’as fait parvenir. (…) Où sont les deux amants ? Pour couronner ma joie, »
Par ailleurs, l’épuisement et l’affaiblissement d’Oreste sont soulignés par les
sonorités et voyelles nasales. Il ne faut surtout pas oublier, chez « ce plus
grand musicien des dramaturges français » comme le dit bien Alexandre Vinet,
dans « Poètes du siècle de louis XIV » que « la musique, dans les vers de
Racine, ajoute aux idées une deuxième expression ». A la fin de l’unité de
sens, comme tout protagoniste tragique, Oreste revendique la mort comme
purificatrice et salvatrice, mais, cette issue honorable lui est refusée, son
châtiment est beaucoup plus dégradant. II / Dans la deuxième unité de sens,
Oreste sombre tout à coup dans la folie. Elle va de cette réplique à la fin de
la scène : « Mais quelle épaisse nuit tout à coup m’environne ? De quel côté
sortir ? D’où vient que je frissonne ? Quelle horreur me saisit ? Grâce au ciel
! j’entrevoie. Dieux ! quels ruisseaux de sang coulent autour de moi ! » Pylade
a compris que son ami a perdu la raison, et s’écrie amèrement: «Ah! Seigneur !
». La nuit évoquerait la folie d’Oreste, d’où ses agitations et ses
hallucinations : « Quoi Pyrrhus, je te rencontre encore ? Trouverai-je partout
un rival que j’abhorre ? Percé de tant de coups, comment t’es-tu sauvé ? Tiens,
tiens, Voilà le coup que je t’ai réservé. » Et les voyelles momentanées « p » et
« t » … en assignant à la réplique du personnage un rythme saccadé, s’adaptent
ainsi parfaitement à l’état d’âme agité d’Oreste. Après la longue tirade
d’Oreste, soulignant ses troubles, ses agitations et ses délires, Oreste,
abattu, finit par perdre connaissance, c’est pourquoi Pylade, s’adressant à ses
gardes, parle de lui à la troisième personne : « Il perd le sentiment. Amis, le
temps nous presse. Ménageons les moments que ce transport nous laisse.
Sauvons-le. Nos efforts deviendraient impuissants S’il reprenait ici sa rage
avec ses sens. » Ainsi, jusqu’à la fin de la pièce, Pylade reste fidèle à son
ami, et persiste à vouloir le sauver. Si la visée d’« Andromaque », comme de
toute tragédie, est d’émouvoir le spectateur en vue de le purifier, selon une
certaine catharsis, il ne faut pas oublier son objectif moral. Elle vise à
donner des leçons morales au public. Ainsi, tous les personnages qui se sont
comportés d’une manière asociale ou immorale sont châtiés à la fin de la pièce,
tel est le cas de Pyrrhus, Hermione et Oreste. Quant à Andromaque, elle est
devenue reine, et a pu enfin sauver son fils des mains des grecs. Elle a été
ainsi récompensée pour son sens de la responsabilité familiale, et pour sa
fidélité à son défunt mari.
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